Qu’il semble terriblement vain et ridicule, disons-le, de faire une crèche dans nos pays bien calmes, et se sentir en même temps tellement impuissants face à l’horreur syrienne.

Seulement, quand on fait sa petite crèche, on ne se remémore pas seulement un événement historique qui a lieu il y a plus de 2000 ans.

Faire sa crèche de Noël c’est imaginer à Alep un couple avec la femme enceinte prête à accoucher, qui cherche un coin à l’abri pour avoir un enfant. Probablement que Joseph et Marie ont déjà eu des membres de leurs familles qui sont morts dans cette guerre. Ou qui sont partis vers la Jordanie et le Liban, dans un camp de réfugiés. Peut-être même que Joseph a encore sa Kalachnikov en bandoulière.  C’est trouver un coin en ruine, qui va peut-être encore protéger un moment. Il n’y a pas d’âne, de bœuf, ou d’autres animaux. Soit ils ont été mangés tellement la population avait faim, ou ils sont eux-aussi en train de se terrer.

L’enfant naît. Dans la boue. Dans des conditions d’hygiène qui mettent sa santé et celle de sa mère en danger. Pas de rois mages ou de bergers pour venir le visiter : dans la ville en siège, personne n’entre, tout le monde veut fuir.

Alors voilà : malgré toute notre impuissance, nous croyons que cet enfant est enfant de Dieu. Que ce que nous célébrons, avec nos crèches, nos arbres enguirlandés et notre messe de Minuit, c’est la grandeur de Dieu….qui a été se foutre dans la boue, dans la guerre, au milieu des hommes, encore aujourd’hui.

Non, nous ne croyons pas en un Dieu qui aurait la puissance d’arrêter la guerre.

Nous croyons en un Dieu qui a la puissance de se faire homme.

De se faire tout petit, pour être avec les hommes, au milieu de la guerre, de la pauvreté, de la misère, de la peur, de la haine. Se faire Homme c’est ça.

Et parce que notre Dieu c’est fait homme, nous, pauvres petits humains que nous sommes, sommes avec lui dans la guerre.

Chaque fois que cet enfant au milieu d’Alep connait la peur, la faim, voire est touché par les bombes, c’est Dieu qui est touché directement. Et parce que nous sommes Eglise, c’est nous qui sommes touchés aussi.

Un bébé qui nait au milieu d’Alep à quelques jours de Noël, c’est absurde.

Et pourtant les chrétiens que nous sommes, croyons que non. Que cet enfant, Dieu, est exactement où il devrait être. Et que c’est pour cela que nous pouvons croire que l’homme est capable de transformer ce champ de ruine, cette haine, en paix, en reconstruction.

Non, ce n’est pas des bons sentiments. On ne peut plus se permettre des bons sentiments quand des peuples meurent, quand les flots de la Méditerranée engloutissent des hommes, des femmes des enfants. L’indignation ne peut plus rien. Impuissance totale. Il ne nous reste que les larmes.

Et pourtant, la naissance que nous célébrons le 25 décembre, celle d’un enfant au milieu des décombres et la preuve qu’aujourd’hui encore Il est là, avec eux, portant avec lui la misère, la détresse, la faim, la peur, la douleur, les larmes. Il est là, et à cause de cela, toute personne qui touche cet enfant nous touche tous. Il est là et c’est sa toute-puissance et notre espoir.

Il est là, et à cause de cela, la Paix viendra peut-être.

Ce n’est pas de l’optimisme béat et benêt. Ce n’est pas non plus avoir des œillères.
C’est avoir la foi.

Croire en ce petit bébé, c’est finalement être profondément ancré dans ce monde. Et témoigner encore et toujours qu’il existe un message d’amour dont nous sommes tous les dépositaires.

Dont nous sommes tous les ouvriers.